Me reconnais-tu by Andrea Bajani

Me reconnais-tu by Andrea Bajani

Auteur:Andrea Bajani [Bajani, Andrea]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782072497193
Éditeur: Gallimard
Publié: 2014-03-05T23:00:00+00:00


QUATORZE

Durant ta dernière hospitalisation, tes amis étaient dans l’attente aux quatre coins du globe. Certains écrivaient à ta femme pour avoir des nouvelles, d’autres relevaient leur courrier électronique, confiants dans une dernière impertinence un peu inconsidérée de ta part. D’autres au contraire ne faisaient rien, ils avaient peur de la distance, pas celle qui les séparait de la mort, celle qui les séparait de toi, que cette dernière veillait dans un lit d’hôpital. Tes paroles, l’éventualité de les voir apparaître sur l’écran de leur téléphone portable ou de leur ordinateur, les effrayaient. Ils restaient donc immobiles, ils se confondaient le plus possible avec les vivants, suppliant le ciel qu’on ne les repère pas, qu’on ne les interpelle pas avec des mots si contagieux. D’autres encore se taisaient, par pudeur, et leur quotidien suivait son cours, tandis que cette idée fixe croisait parfois la route des autres pensées. Simplement, ils regardaient de temps en temps la pendule et calculaient l’heure qu’il était à Lisbonne, ce décalage de soixante minutes, clémence involontaire de la Terre et du Soleil, que le temps t’offrait, à toi, par rapport aux Italiens. Ils étaient nombreux à prier ta femme de les autoriser à venir et, avec chacun, elle devait trouver les mots pour dire que ce n’était pas le moment. C’était la seule façon de te laisser te reposer, en dressant quelque chose qui ressemblerait à un paravent plus qu’à un mur. Et, dans le même temps, c’était la seule façon d’espérer qu’il y en aurait bien un, de meilleur moment, caché quelque part dans le cours du temps. Et donc, le soir, elle ouvrait son courrier, elle donnait de tes nouvelles et éloignait les autres de Lisbonne. Elle exigeait un peu d’autonomie des mots en les tapant sur le clavier. Elle leur demandait d’avoir la force qui lui manquait, à elle, et de mentir, de feindre juste assez pour que ce qui était de la douleur n’y ressemble pas.

Un soir, un de tes amis d’enfance m’a appelé, gardien de ton passé et de ta maison de famille à Vecchiano. Il me demandait comment tu allais, il ne savait pas quoi faire, toi qui avais continué à lui écrire le plus longtemps possible mais qui n’y arrivais plus. Au téléphone, il ne disait rien et moi non plus je ne disais rien, nous restions plongés dans un même doute qui grandissait. Sa femme s’était approchée pour lui souhaiter une bonne nuit, elle allait se coucher, et elle m’en avait souhaité une à moi aussi. Et, lorsqu’elle fut partie, le doute était devenu immense, insurmontable, d’un coup nous étions incapables de faire quoi que ce soit. C’était comme si, sans elle, nos doigts d’hommes, de mâles, se fussent révélés tels qu’en eux-mêmes, trop gros pour manipuler une chose si petite, essayer de raccommoder la mort avec la vie. Ton ami s’était donc allumé une autre cigarette et, ensemble, nous avions réfléchi à la meilleure chose à faire à ce moment-là. Nous traitions la question comme si c’était



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